La veuve de Pape Bouba Diop a bien voulu nous accorder une interview, pour revenir sur sa première rencontre avec l’ancien milieu de terrain des Lions. Sans détours, elle nous relate les moments de sa conversion à l’Islam au moment où elle ignorait tout de la culture sénégalaise. Grâce à son mari, tout est rentré dans l’ordre, jusqu’au moment où la maladie Charcot s’est invitée dans leur vie de couple et de famille. Elle nous raconte comment la maladie est survenue et comment, ensemble, ils ont surmonté les épreuves devant leurs enfants affligés. Au Sénégal, elle compte y rester un moment pour son deuil, car elle a peur de rentrer à Lens et de revivre la tragédie.
Entretien.
Comment avez-vous connu Papa Bouba Diop ?
Il y a de cela 18 ans. Je suis née à Lens et je travaille à Lens comme esthéticienne. Je rencontré mon mari grâce à un ami commun qui était capitaine de l’équipe de Lens, Éric Sikora. Donc, je l’avais rencontré à Lens, peu de temps avant qu’il n’aille en Coupe du monde en 2002 et puis je l’ai suivi lorsqu’il est parti en Angleterre, en Grèce et en vacances lorsqu’il venait au Sénégal.
Vous vous êtes converti à l’Islam avant le mariage, paraît-il ?
Tout à fait. C’est son oncle Papa Ass Diop, un frère de son papa décédé, il m’a demandé si je voulais me convertir, j’ai dit «oui». Et mon mari m’a ensuite appris les principes de base de la religion. D’ailleurs, mon nom musulman, c’est Fatou Bintou Diop. Je profite de cette tribune que STADES m’offre pour dire que mon nom c’est Marie Aude Diop. Ce n’est pas Marion comme on l’écrit dans la presse.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué chez votre mari, quand vous l’avez rencontré ?
Au début, c’était bizarre, je ne connaissais pas sa culture, ni le Sénégal. Il était un ami et on discutait. Des fois, je posais des questions sur son pays. Pour moi, tout ce qui est musulman, les femmes n’ont pas droit à beaucoup de choses. J’avais un fort caractère. Et il m’a expliqué qu’au Sénégal les femmes sortaient, elles ne sont pas enfermées. Ce n’est pas comme les reportages qu’on nous montre à la télé. Ainsi, il m’a beaucoup appris de ma nouvelle religion, des soirées entières on parlait et puis j’ai appris sa culture. Il m’a amenée au Sénégal, déjà sans être mariés. À l’époque, j’étais conquise, on avait des projets sur ce qu’on allait faire si on avait des enfants. J’ai accepté de me marier avec lui et de tout faire dans l’ordre.
Et pour la cuisine ? Les hommes sénégalais raffolent de bons plats et ça devait être sûrement son cas ?
Je sais faire un peu le thiep bou dieune. Avec l’odeur, c’est compliqué ! Par contre, je sais faire le yassa qui est un plat classique, le bissap (oseilles), le lakh les dimanches soir, un peu du thiép bou yap (riz à la viande). Maintenant pour le thiep bou dieune, j’avais une belle sœur qui était en France. Donc, quand Papa Bouba voulait manger un bon plat, ma belle-sœur le faisait. Aussi, quand j’avais des copines sénégalaises qui venaient, elles faisaient de bons plats. Je fais un peu les choses classiques, mais je ne fais pas la cuisine sénégalaise chaque jour, ni chaque semaine. Après quand on est sportif, c’est mieux de manger équilibré. Papa Bouba mangeait énormément de pâtes. Il adorait les pâtes pour le muscle, car c’est un sucre lent, il n’y a pas beaucoup de gras.
Son plat préféré, c’était quoi ?
Les pâtes, il avait un menu de repas très équilibré.
Quel type de mari, il était ? On le dit timide.
Il n’était pas timide, mais humble. C’était quelqu’un de très rassurant, protecteur qui ne parle pas, mais qui fait tout pour que tout soit parfait. Il m’a énormément protégée et il continue à le faire depuis le ciel. Chaque jour, je suis émerveillée, j’ai l’impression qu’il gère tout, en haut du ciel. Mon mari était gentil, un homme de principe qui avait des règles. Si on applique ses principes, on n’aura pas de problèmes avec lui. Le fait qu’on avait deux cultures différentes, il ne m’imposait rien, avec méchanceté. Il me parlait et m’expliquait car, des fois, je ne comprenais pas. Surtout quand on venait au Sénégal, où il y a tellement de règles, de protocoles et je lui demandais : «Pourquoi ils font ça ?». Et il m’expliquait tout calmement. Cela fait 18 ans que je viens au Sénégal, je suis dans ma maison, je me sens autant Sénégalaise que lui. Par respect, j’applique tout ce qu’il m’a appris.
Et les enfants?
Il était un papa protecteur qui ne rentre pas dans le conflit. Il essaye de parler calmement avec Aron. Ce n’est pas lui qui va taper. Il parle à mon fils droit dans les yeux. Il ne criait jamais, toujours calme, égal à lui-même. Ma fille Awa est très proche de son papa, elle lui ressemble beaucoup et même à ses sœurs (de Papa Bouba). C’est le même visage, même front, c’est une mini-Bouba.
A-t-il appris à Aron le football ?
Tout petit oui, mais il ne lui a jamais mis la pression. Ce n’est pas parce qu’il a joué au football que son fils doit jouer au ballon. Ce n’était pas un rapport professeur-élève. C’était deux personnes qui jouaient ensemble pour s’amuser.
Aron joue-il toujours au foot ?
Il aime le foot et aimerait réussir, après c’est la vie qui nous dira s’il a le niveau de son papa. Mais déjà, il faut qu’il ait le mental de son papa. Il est encore jeune. En ce moment, le football, c’est le rêve de tout jeune.
Sa maladie, comment elle s’est manifestée ?
Ça a commencé par la paralysie d’une main, ensuite d’une deuxième main. C’est une maladie dégénérative, elle avance tout doucement. Chaque mois, vous perdez quelque chose. C’est-à-dire vous faites quelque chose, le mois d’après, vous ne savez plus le faire. Ça arrive tout doucement, c’est une maladie, qui a été élue l’an dernier, «la maladie la plus cruelle de l’année». C’est une maladie où l’on ne se sent pas diminuer, mais on diminue chaque mois de quelque chose. Donc, cela commence par les bras, les jambes, puis le niveau respiratoire. C’est une maladie très dure et il ne s’est jamais plaint. Il me disait ce dont il avait besoin, clairement, sans râler. On n’aurait jamais cru que, chez nous, il y avait un malade et ce, jusqu’au dernier jour. À la fin, il y avait son ami Daouda Ndiaye qui était venu à la maison. Il a passé la dernière année avec nous pour nous aider. Parce que Papa Bouba était fort musclé, on s’entre-aidait et on l’a gardé à la maison, chez moi, jusqu’à la fin. Je ne voulais pas aller à l’hôpital, car tout ce que l’hôpital avait, on l’avait chez nous : machine, soin, tout à la maison.
Justement, en tant que femme, comment avez-vous vécu cette situation dramatique de voir votre mari dans cet état ?
Déjà, la première fois quand le docteur a dit qu’il était malade, j’ai dit : «Ce n’est pas grave, on va le soigner». Et là, le docteur a ajouté, «il n’y a pas de traitement». Je dis que ce n’est pas possible. Sur le coup, je ne me suis pas rendue compte, j’ai fait des recherches sur internet et, par contre, lui ne voulait pas savoir le nom de la maladie. Quand on lui a annoncé la maladie, il était bien et ne voulait rien savoir. J’ai regardé sur le net, j’ai pleuré, en disant : «Mais c’est horrible». Il m’a dit : «Mais Marie, arrête de pleurer, dans la vie, il y a le bon et le mauvais côté». Je me suis dit : «Comment est-ce possible qu’il parle comme ça ?». On vivait chaque étape tout doucement et, un moment, quand je voyais qu’il avait du mal à conduire la voiture, on a dit stop, on ne prend plus de risque. Moi, ce que j’ai appris à mon âge, c’est qu’un couple, ce n’est pas de partir en vacances, c’est la discussion. Tant que vous pouvez parler avec votre mari, faites-le. Je n’avais pas souffert, car je parlais avec lui et même lorsqu’il était paralysé, c’était l’homme de la maison. Je faisais tout ce qu’il me disait.
Pourquoi vous avez caché sa maladie ?
Quand c’est arrivé, je lui ai dit : «Il faut que tu le dises à ta famille». Il m’a répondu : «Non, ne le dis à personne». Je lui ai dit «Pourquoi ?». Il m’a rétorqué : «Je ne veux pas les inquiéter». J’insiste encore : «Mais, tu ne les inquiètes pas». Il me dit : «Non, faut pas qu’ils s’inquiètent». Je trouvais que ce n’était pas juste. Mais, pour lui, il ne voulait pas embêter les gens, il a gardé sa dignité jusqu’au bout. Après, il y a des bruits pour vérifier sa maladie et moi, je restais toujours neutre. J’avais mal au cœur et je ne pouvais pas faire autrement. Je devais respecter son choix. En tout cas, c’est lui qui me l’a imposé et on a respecté son choix. Je ne pouvais pas aller contre sa volonté. Souvent, je préviens les gens qui lui parlent, de le faire normalement, parce que jusqu’à la fin, quand il appelait ses amis, il n’évoquait pas sa maladie. Il restait normal.
Donc, il évitait les visites ?
Tout à fait, il les évitait. Au fond de lui, je pensais qu’il croyait qu’il allait s’en sortir, que c’était une période à passer.
À quel moment, il a perdu l’usage de la parole, on dit qu’il ne pouvait plus parler ? Cela devait être l’étape la plus dure ?
Alors là, il ne l’a jamais perdu. Il avait toute sa tête et la voix. Par contre, il avait une petite machine pour respirer, qui lui envoyait de l’air et cela a déformé un tout petit peu sa voix. Donc, les gens pensaient qu’il avait le mal de gorge. Non, mon mari a parlé jusqu’au bout et donné toutes les directives. Raison pour laquelle, je vous ai dit que la base d’un couple, c’est la discussion. Il était paralysé du corps, sauf le visage. Mais, comme j’ai vécu tout avec lui, je n’ai pas vu tout cela. Quand il est décédé, pour moi, il était en pleine forme et c’est quand j’ai vu le soir, tous les reportages sur lui, je le trouvais encore plus beau. Les hommages sur lui m’ont fait du bien. Et puis, de le revoir beau, de courir. Pour vous dire la vérité, quand on a su qu’il était malade, j’ai lui ai dit : «On profite, on voyage». Donc, la première année, tant qu’il pouvait, on a voyagé, on a fait plein de pays. Et puis j’ai dit non : je le mettais en danger. On reste à la maison.
Quel était le plus beau cadeau qu’il vous a offert ?
Les voyages, d’être à quatre avec les enfants. On est allés en Laponie, une région qui se trouve en Finlande, il fait très froid là-bas. Il y a les skys, les traîneaux. Nous avons fait aussi New-York, l’Espagne, l’Italie. Et quand il est tombé malade, on passait des soirées entières à regarder les photos souvenirs. Tout ce qui est matériel, on n’en parlait jamais. Ce sont les voyages et les souvenirs qui nous ont fait du bien.
Quelle était sa dernière volonté ?
C’est de rentrer au Sénégal. Il voulait se reposer auprès de son père, sa mère et sa sœur qui sont tous décédés. Je savais déjà que, quoi qu’il puisse se passer, on partait au Sénégal. Il voulait être avec ses parents.
Une petite anecdote de lui…
Juste après la Coupe du monde 2002, les dirigeants de Lens lui ont dit : «Un club russe veut t’acheter, on a besoin d’argent, ce serait énorme pour nous, il faut que tu signes». Il raccroche avec le Directeur du FC Lens et je lui dis : «Pourquoi tu ne signes pas ?». Il me répond : «Si je signe en Russie, je ne jouerai pas en équipe nationale. Je préfère gagner moins financièrement et jouer en sélection». Peu de temps après, l’Angleterre le voulait, il est parti, Mais à la base, c’est un club russe qui le voulait juste après le Mondial 2002. Les Sénégalais ne le savent pas.
Qu’est-ce que cela vous a fait de savoir que votre mari allait rejoindre les cieux avec sa maladie incurable ?
Je ne m’en rendais pas compte. Je ne sais pas comment vous dire, on fait les choses au quotidien. Mes enfants et moi, on était dans une souffrance qu’on ne pouvait même pas expliquer. Une fois arrivés au Sénégal, on était mieux. Cela nous a fait un bien. Le président Macky Sall nous a accueillis à l’aéroport, y compris les gens qui nous appelaient de partout. Cela nous a empêchés de réfléchir. Ce n’est pas que je ne pensais pas à mon mari, mais cela nous a changé les idées. À Lens, c’était dur et, une fois à Dakar, on a vu que tout le monde était malheureux comme nous. Franchement, ça m’a fait du bien. J’ai découvert mon mari sous une autre facette, tout le monde parle de lui en bien, même ceux-là qui ne le connaissent pas
Papa Bouba était sans histoire…
La phrase préférée de mon mari, c’est «Laisse, ne fais pas d’histoire». Cela veut dire en wolof «Bayil». Je lui disais : «Tu as raison, je laisse, mais en un moment donné, on ne peut pas tout laisser faire». Mais lui, il ne voulait pas d’histoires. Il n’y a jamais d’histoires qui venaient de lui et il ne les a jamais alimentées. Pour lui, il ne faut pas trop parler. Le mot «laisse», je l’ai tellement entendu que, quand je venais au Sénégal avec lui, il me disait «laisse» et je me soumettais.
Et votre audience avec le chef de l’État ?
C’est énorme qu’un chef de l’État vous reçoive en l’honneur de votre mari. C’est lui qui aurait dû voir tout cela de son vivant. Tout ce que le président a fait est exceptionnel. Papa Bouba aimait le Sénégal, il vivait la culture de son pays et le Sénégal ne l’a jamais quitté. Il vivait à Lens avec sa famille, mais il n’avait pas changé. Par amour pour moi, il a accepté qu’on reste en France, parce que j’étais en activité. Et même quand il était professionnel, j’avais négocié avec lui pour pouvoir travailler et il me l’avait accordé. J’ai continué à travailler pour l’équilibre de la famille à la fin de sa carrière. Ce n’est pas le froid qu’il préfère, mais il est resté par amour pour moi à Lens. Par contre, durant 18 ans de vie commune, on venait chaque été au Sénégal. Mais, en cas de besoin, il venait plus souvent.
Il est élevé au rang de Grand Officier de l’Ordre national du Lion…
Ce n’est pas donné à tout le monde. C’est une surprise, je suis très touchée. J’ai dit au président de la République, si les travaux du Musée qui doit porter le nom de Papa Bouba Diop sont finis, je veux bien lui prêter les trophées de mon mari, gagnés en équipe nationale et en clubs pour exposition. Tout le monde pourra les voir en vitrine.
Vous restez au Sénégal pour combien de temps ?
Je reste, parce que je me rends compte que je suis bien ici. Pour l’instant, on est en famille, il y a des neveux qui sont à la maison. Je suis un peu mieux, j’ai peur de rentrer, de retourner la maison, de retrouver tout ce qu’on a vécu. Je ne me sens pas assez forte pour rentrer. Je vais rester ici avec les enfants. On a besoin de la famille. Durant sa maladie, les enfants étaient perdus de voir leur papa alité. Car, il était un grand monsieur, ils ont souffert de la situation et ne comprenaient pas. J’ai fait de mon mieux pour les expliquer, afin de rester unis dans la douleur.
Et le soutien des anciens coéquipiers de la génération 2002 ?
Ils ont été géniaux, discrets et ont tout fait. Ils m’ont aidée, apporté leur soutien et donné de l’argent. Ils se sont occupés de tout pour que je ne manque de rien. La génération 2002, ils ont mon respect. Franchement, je suis très touchée et contente. On a prévu de se revoir et ce sera une occasion de les remercier de vive voix.
Anta Faye DIOP