(CHALLENGE SPORTS). Enseignant, président de l’Association des Anciennes gloires de Thiès, Mouhamed Fadel Fall a été l’un des footballeurs phares des années 60. Deux fois, finaliste malheureux de la Coupe du Sénégal avec le COT, il a gagné avec l’équipe nationale la médaille d’or des Jeux de l’Amitié en 1963. Partout, on a loué son talent et son jeu.
Il n’a pas perdu l’habileté de ses propos, ni son aplomb de naguère. Mouhamed Fadel Fall 79 ans (il est né le 18 septembre 1941 à Tivaouane) n’éprouve aucun mal physiquement à venir nous prendre à l’angle de cette rue sise à la Cité Ouvrière à Thiès. Il est vêtu d’un sweat-shirt bleu marine et d’un pantalon de la même couleur. Il garde une fraicheur physique et une mémoire d’éléphant. Lui le footballeur «talentueux» qui a tant épaté par ses passes chirurgicales et ses dribbles les terrains du pays et même à l’international. L’homme est un amoureux du ballon qui a fait ses premiers gris-gris et autres râteaux sur le terrain du Fogny à Tivaouane où il voit le jour au début de la seconde guerre mondiale ( 1941).
Quand les balles ne sifflent plus et que les soldats entrent dans leurs foyers respectifs, Mouhamed Fall est un enfant qui fait de la balle, son arme favorite, et le terrain de Fogny, le lieu de prédilection de ses arabesques. Très vite, il a vu jouer Serigne Abdoul Aziz Junior, Dénébon un commandant, Seck Samba un postier, et d’autres fonctionnaires affectés à l’époque à la ville de Maodo et le virus du ballon l’a piqué. Il ne lâchera plus. Chaque soir, vêtu de sa tunique, il dribble, organise le jeu, marque des buts. Il est très vite adulé dans le quartier en raison de son talent de footballeur dans les championnats populaires ou Navétanes.
Longtemps sa réputation fera l’histoire de ce quartier populeux de Tivaouane. Il se révélera d’autres prouesses à travers les études, puisqu’il réussit le concours normal de Mbour pour devenir instituteur en 1956. Dans la Petite Côte, il est dépaysé et la séparation très jeune avec sa maman lui est insupportable. Il a du mal à s’intégrer. Et un beau jour, alors qu’il a complétement le moral dans les chaussettes avec cette difficile vie d’internat, on lui fait part de la création de l’équipe de l’Ecole normale de Mbour et le premier entrainement avec ses futurs coéquipiers va changer sa vie. «Je me fais remarquer tout de suite et j’ai intégré l’équipe en catégorie cadette», glisse-t-il, assis dans la cour de sa maison.
L’équipe de l’Ecole Normale de Mbour se découvre des adversaires, les écoles et équipes du Sénégal. C’est ainsi que Mouhamed Fadel Fall fait la rencontre de Malick Sy «Souris» qui jouait au lycée Van Vollenhoven. Le football réussit à le sortir de son dépaysement. Il gagne la Coupe Scolaire contre Dakar-Bango à Saint-Louis…et tout le monde se met à parler de sa prestation, lui le meneur de jeu qui faisait mal aux défenseurs adverses.
Le jour où Fadel Fall met Louga à ses pieds
Le Sénégal vient d’obtenir son indépendance, on affecte Mouhamed Fadel Fall à Louga comme instituteur. Il est accueilli par la famille Sourang à Santhiaba. Il se consacre à son métier d’instituteur sans révéler ses talents de footballeur. Jusqu’à ce que le secret s’évente par le biais d’une de ses vieilles connaissances. Or la Présidente de l’équipe Espoir de Santhiaba habite sous le même toit que lui et à l’époque, la formation du Cercle de la Jeunesse de Louga est sans pitié contre ses adversaires. Fadel Fall rechigne à jouer. Mais avec l’insistance de la famille, il se met à s’entrainer avec l’équipe de Santhiaba qui n’avait jamais réussi à battre le Cercle de la Jeunesse. Puis arrive le match tant attendu, Fadel Fall explose la défense adverse, au bout de cinq minutes de jeu il réalise un triplé et scelle la première victoire de Santhiaba sur Entente Jeunesse de Louga. Le quartier se met à fêter la victoire comme au Carnaval de Rio et Fadel devient du coup, le chouchou de tout un quartier.
Pendant les vacances, il retourne à Tivaouane où il fait feu de tout bois dans les matchs de championnats populaires. Il se trouve que le Président du COT à l’époque Cheikh Tidiane Diop, receveur des Postes à Tivaouane ne le quittait pas des yeux et l’avait dans ses petits carnets.
Baptême du feu réussi au COT face à Bouba Diakhao
Dans la même veine, il reçoit des mains de sa mère une lettre d’affectation à Thiès alors que les vacances finies, il s’apprêtait à rentrer à Louga. Il rejoint contre toute attente son poste d’affectation à Thiès. Très vite, des émissaires du COT vont venir l’inviter à rejoindre la grande famille de l’équipe thiessoise alors que lui supportait le Foyer France Sénégal. Dans un premier temps, Fadel n’est pas emballé, mais on fait des pressions sur sa famille à Tivaouane et finalement il signe une licence au COT en janvier 1962. Il a du mal à s’entrainer et un beau jour, il a envie de tâter du ballon, il se pointe au terrain de Thialy et voit à l’œuvre les géants du COT à l’œuvre. Il ne connait pas encore les joueurs et se met à s’entraîner sur le bord de touche. Et on lui dit de remplacer l’ailier droit qui avait du mal à passer le latéral gauche. «Je rentre et je fais des misères au latéral gauche qui était l’immense Bouba Diop que personne n’osait dribbler à l’époque. Si j’avais su que c’était Bouba Diakhao je n’allais pas passer si facilement tant il avait une réputation.»
Mais ce jour-là à la fin de l’entrainement, le COT découvre un talent à l’état pur : Fadel Fall. «C’est comme ça que j’ai intégré le COT. Notre premier match c’est à Saint-Louis avec la Saint-louisienne avec les Loba Dièye, Magaye, Karim, qui étaient des monstres. Je fais un match extraordinaire. Nous perdons 8 buts à zéro. Et c’est Loba Dièye qui me prend par la main, pour m’inviter à boire un verre en me disant que j’étais au dessus de tous les 22 acteurs.» Les échos de son match arrivent à Thiès. La presse s’en empare et on ne parle plus que de Fadel Fall. Dans cette équipe du COT, il y avait Ousmane Samb comme attaquant «opportuniste devant les buts», Lamine Sano, Bouba Diakhao, Samba Seck, Kroumen…
Au bout de deux matchs de feu, Mouhamed Fadel Fall prend le capitanat et conduit le CTO. Entre-temps, Raoul Diagne, fils de Blaise Diagne prend les rênes de l’équipe nationale comme entraineur et Fadel Fall est sélectionné pour une tournée en France. Les Sparring-partners sont Caen, Angers avec Defnoune un Maghrébin au talent racé. Et l’équipe nationale gagne son match contre Angers avec en attaque Fadel Fall, Demba Thioye et Yatma Diouck et les recruteurs leur tombent dessus. «Je ne voulais pas rester en France, parce que j’étais dans une situation peu enviable au Sénégal avec mon salaire d’instituteur et tout se passait bien, malgré l’envie des dirigeants d’Angers de me prendre je voulais rentrer » explique-t-il.
A La Baujoire, l’équipe nationale de Raoul Diagne bat Nantes, Elle bat une équipe de Lorient. Les Lions retournent au Sénégal auréolés de ces victoires de prestige contre de grandes équipes françaises. Ensuite survient une invitation du Président ghanéen Kwamé Nkrumah d’aller participer à un tournoi au Ghana. «Alors là je tombe sur un footballeur de talent Baba Yara plus célèbre même que le Président Nkrumah quand je l’ai vu jouer je me suis dit que doit être Pelé ? Personne ne pouvait être au dessus de lui». Le Sénégal est battu par le Mali (2-1), et sauve l’honneur face au Nigéria. Une campagne à oublier vite.
Avec la défaite contre les Camerounais (4-0) aux Jeux de l’Amitié en 1961 à Abidjan et la défaite contre le Mali 2-1, alors que la Fédération du Mali venait de se casser, les supporters sénégalais prennent en grippe les joueurs de l’équipe nationale. Alors quand certains d’entre-eux dont Fadel font leurs emplettes au Printania (Centre commercial) à la veille de rencontrer les Camerounais aux Jeux de l’Amitié à Dakar en 1962, ils échappent au lynchage et ils sont exfiltrés pour rejoindre leur hôtel. Les joueurs de l’équipe nationale en ont contre le peuple et accusent les Sénégalais. Alors là, Fadel Fall prend la parole. «Ce n’est pas le peuple qui nous a fait ça. C’est un groupe d’irresponsables, nous avons rendez-vous avec l’histoire, le Cameroun ne vient pas en victime expiatoire. Nous devons nous concentrer sur nos forces et devons montrer ce que nous valons», argue-t-il. Ses coéquipiers sont sous le charme.
L’Hommage du Grand Salif Keïta à Fadel
Au final, l’équipe nationale gagne le match sur le score de 1 but à 0. Le public envahit le stade municipal, il a fallu l’intervention des sapeurs-pompiers avec des jets d’eau pour repousser la foule de supporters Sénégalais. L’équipe nationale gagne la médaille des Jeux de l’Amitié contre la Tunisie sur le nombre de corners. Mouhamed Fadel Fall enchaine les performances en club, avec le COT des Yali gardien de but, Bouba Diakhao, Bouba Sow, Bouba Ndoye axe, Ndiombo Thiaw, Perruque, Fadel Fall, Ousmane Samb, Lamine Sano, Tony etc il joue la finale de la Coupe du Sénégal face à Ouakam de deux éditions de 120 minutes et finalement les Ouakamois gagnent. En 1965, COT perd encore une finale contre Gorée, mais Fadel Fall brille de mille feux. Il est sélectionné à nouveau en équipe nationale pour la nouvelle édition de la Can en Tunisie. Il doit jouer un match au Mali contre les Salif Keita, mais la fédé a des bisbilles avec l’Etat, c’est finalement Alassane Ndiaye Allou journaliste qui prend sur lui de convoquer l’équipe où il y avait Matar Niang et Zaccaria en attaque, Fadel Fall, Abdoulaye Diallo, Louis Camara, Yerim Diagne… et d’aller jouer au Mali. Pour motiver ces joueurs qui ne se connaissaient pas, il leur dit : «On ne vous a pas sélectionné par complaisance, mais parce que vous êtes les meilleurs jours à l’heure actuelle du pays. Et jamais, le Sénégal ne se courbera devant le Mali. Il faut vous mettre ça dans la tête.» Le déplacement s’avère un succès éclatant, 2 buts à 0. Et le comble des compliments pour Mouhamed Fadel Fall vient de Salif Keïta, le Malien qui a fait les beaux de Saint-Etienne de la belle épopée… qui lui dit : «J’ai été séduit par votre talent. A vous seul vous avez éclairé le jeu sénégalais. Je n’ai jamais vu quelqu’un jouer aussi juste. Félicitations.» Des mots de l’immense Salif qui émeuvent encore Fadel Fall…qui n’a pas eu la chance d’être sélectionné pour Asmara en 1968. «J’ai été marqué par l’esprit chevaleresque des joueurs de l’équipe nationale de l’époque, contrairement à aujourd’hui où l’on ne sent pas ça chez les jeunes », regrette-t-il
A la Cité ouvrière, un quartier de Thiès Mouhamed Fall qui vit une retraite paisible est entouré de ses enfants, il n’est pas sorti du milieu du foot, car il est le président de l’association des Anciennes Gloires de Thiès. Il lui arrive de rencontrer «ces grands messieurs de l’époque» à travers des matchs entre Anciennes gloires. Comme des étoiles qui se retrouvent pour voir leurs yeux brillaient de plaisir…
TEMOIGNAGES :
Sur Ousmane Samb : «Ousmane je l’ai connu au collège Blanchot à Saint-Louis, avant qu’il ne vienne signer au COT, parce qu’il habitait par la suite Grand-Thiès. Il était un attaquant racé, un buteur opportuniste mais dans la vie de tous les jours c’était un homme charmant. Nous avons fait le tournoi du Ghana quand le Président ghanéen nous a invité jouer là-bas.»
SALIOU BA : «Il est décédé il jouait ailier gauche, certains s’étaient étonnés qu’on soit devenu des amis, parce qu’il jouait à l’Us Rail et moi au CTO. Le jeu du Rail était très rugueux mais lui était d’une finesse. Il est décédé.»
OUMAR KOUYATE BAROU : «Il est en France il lui arrive souvent de venir en Vacances au Sénégal.»
DELEGUE : «Son physique me rappelle celui de Lukaku (belge qui évolue à l’Inter de Milan/Série A Italienne), il est décédé.»
Fallou Galass GAYE