Sénégal : La pratique mystique gangrène du football local.

Dossier réalisé par Aïssatou DIENE

(CHALLENGE SPORTS) – Jeter un sort sur la star de la formation adverse pour la rendre inefficace le jour du match, aider le gardien de l’équipe en barricadant ses buts d’actes mystérieux, des pratiques devenues monnaie courante dans le foot local sénégalais.
Entre superstitions et croyances occultes, le mystique a pris une place essentielle dans le foot sénégalais. Selon de nombreux observateurs, il est le talon d’Achille du ballon rond au pays des champions d’Afrique.

L’image a fait le tour du web. C’était lors de la finale de la Coupe du Sénégal qui opposait Jaraaf de Dakar au Stade de Mbour (tous des clubs de Ligue 1 pro). Un fait insolite de cette fête a mobilisé les attentions des passionnés du foot. Sur une photo prise par un photojournaliste et devenue virale on découvre un objet mystérieux ressemblant à un tong attaché au dos du gardien des jaraafmans lors d’une intervention défensive. Une image qui a déclenché la polémique sur les réseaux sociaux à la fin du match.

Interrogé sur ce fait qui a attiré l’attention de nombreux observateurs, Mame Cheikh Diallo, milieu de terrain du Jaraaf de Dakar a tenté de minimiser . « Le football au Sénégal présente de nombreuses défaillances. Le Sénégal a ses mythes, ses réalités que nul ne peut renier. Nous avons nos cultures et nos croyances. Cependant, ces pratiques mystiques ne devraient pas être visibles au regard de tous. Car, elles tendent à nuire la professionnalisation du football local sénégalais », a expliqué le joueur.

Il arrive au cours de certaines rencontres que l’on aperçoive des joueurs verser du liquide, de la potion magique dans les buts de l’adversaire. D’autres, enterrent des gris-gris, avec comme espoir de ne pas encaisser de but.

Aujourd’hui, nombreux sont les athlètes, entraîneurs et dirigeants avec des motivations différentes, qui font recours aux marabouts pour espérer remporter le gain d’un match de football ou d’un combat de lutte au Sénégal. C’est le cas de certains acteurs du mouvement Navétane, le championnat populaire de football amateur entre quartiers. Même le championnat national professionnel souvent retransmis en direct à la télévision, n’est pas épargné par ce fléau. Une pratique qui gangrène le sport de manière générale et fait souvent de nombreuses victimes selon plusieurs des témoignages qu’on a recueillis.

Comment ça se passe ?

La pratique mystique dans le sport n’est pas sans conséquences. Souvent, ce sont des joueurs qui sont visés directement.
À Mbour, 86 km de Dakar, nous avons rencontré Abdoulaye, qui occupe l’atypique fonction de chargé des affaires mystiques d’un club de la place. Il nous raconte ses échanges avec les marabouts qu’il sollicite pour des pratiques mystique sur un ton détendu. « Quand les matchs approchent, je pars voir notre « sorcier » pour qu’il protège notre équipe mystiquement de telle sorte qu’elle sera puissante toute la saison. Aussi, à la veille d’une rencontre, il m’arrive d’aller l’informer du nom des joueurs adverses pour qu’il les rende inefficace », confie t-il . « Ce n’est pas tout » , poursuit-il. « On peut aussi lui demander quelque chose pour notre attaquant le plus fort. Il peut lui donner des gris-gris qu’il portera sur son pied fort. Ou à défaut nous donner des gris-gris à enterrer dans les buts ».

Le but, selon lui c’est de ne pas encaisser de but.
« Parfois, si le marabout voit que l’adversaire est plus fort, il nous ordonne de faire des offrandes pour changer la donne, ou renverser le score. Mieux encore, on peut lui proposer de faire des astuces pour que le meilleur buteur de l’adversaire ne soit pas en forme ou reste muet sur le terrain. Soit, il aura mal au ventre, soit ses jambes ne fonctionnent pas durant la rencontre », Erling Haaland reconte t-il.

Les indications des marabouts sont méticuleusement respectées, rien est laissé au hasard. Abdoulaye nous a confié dans les moindres détails sa feuille de route pour une efficacité maximale. « Les eaux bénites que le marabout nous donne par exemple, nous les mettons dans le réfrigérateur ou dans une marmite à bouillir sur le feu du début à la fin du match. Il peut parfois avoir des conséquences sur le joueur visé car en oubliant de détruire le gris-gris qui a été dans le réfrigérateur, la cible ne sera plus en bonne santé », révèle t-il.

Des carrières brisées.

Beaucoup de sportifs ont vu leur carrière de footballeurs basculer à cause de ces pratiques mystiques. C’est le cas de Serigne Sarr, ancien joueur de Walidane de Mbour. Aujourd’hui âgé de 51 ans. Il n’avait que 17 ans à l’époque et était en classe de première secondaire. Après avoir disputé un match, il sent que ses membres inférieurs ne fonctionnent plus. Le début du calvaire pour Serigne.

« C’était un samedi de septembre 1989. Je jouais au Navétane avec Walidane de Mbour. J’ai fait un grand match ce jour comme d’habitude. On avait gagné la rencontre et on l’avait même fêtée. Mais au lendemain de cette victoire, tout a basculé. Je me suis réveillé et j’ai senti des douleurs au niveau des mollets et je ne pouvais pas m’entraîner avec le groupe. Le lendemain, à la veille de notre prochain match, j’ai eu des maux de tête suivis d’une forte fièvre », raconte l’ancien footballeur.

«J’ai eu des crampes, je ne pouvais plus marcher alors que je devais jouer » poursuit-il.
« La nuit avant d’aller au lit, j’ai voulu aller aux toilettes pour uriner, je ne pouvais pas marcher. Le lendemain, je me suis réveillé paralysé. Depuis lors, rien n’a changé . Mes membres inférieurs ne fonctionnent plus. J’ai forcé mais rien. Au début, je pensais que c’était juste de la fatigue dû au match, mais ce n’était pas le cas. J’avais même des problèmes pour uriner. Chaque soir, on m’amenait voir le médecin du quartier pour qu’il me consulte car chaque soir mon ventre gonflait. Trois jours après, je suis allé à l’hôpital Fann. J’ai fait là-bas des mois sans guérir».

Les radiographies et les analyses n’ont rien décelé. Serigne Sarr a commencé à alterner les médecines traditionnels et modernes pendant des mois mais sans résultats. « J’ai alors décidé de croire au destin et de vivre avec m’en remettre au bon Dieu. Je suis resté pendant deux ans sans sortir de ma chambre. Je ne pouvais plus continuer mes études ni le football ». C’etait un désastre pour un jeune qui rêvait de faire une carrière professionnelle dans le football.

« Lors des premières années, l’Odcav (l’Organisation départementale pour la coordination des activités de vacances) avait lancé un appel aux dons pour apporter son soutien, vu que j’étais actif dans le foot », se remémore t-il. « Les dirigeants avaient demandé aux différentes zones de donner quelque chose. Au finish c’était 100. 000 FCFA. À l’époque, 100.000f c’était beaucoup d’argent. Mais depuis lors, je n’ai jamais reçu de subvention. Quand j’ai déposé la demande, ils avaient dit que c’était renouvelable chaque année mais jusqu’à nos jours, ils n’ont jamais renouvelé. Par contre, il y a trois ans, j’ai reçu la visite de l’international sénégalais Kara Mbodj qui est venu m’apporter son aide », confie t-il.

L’image du sport est écornée.

Même si les acteurs s’adonnent à ces pratiques, elles ne sont pas du goût des observateurs et journalistes sportifs à l’image de Mbaye Jacques Diop. Lui qui est dans le milieu sportif depuis des décennies, conseiller technique au Ministère des Sports, estime que c’est l’image du sport qui est écornée. « Ce sont des pratiques qui écornent aujourd’hui l’image du sport. Au-delà de cette image, il donne une mauvaise impression parce que les gens ont même tendance à dire que si une équipe est performante et gagne, c’est parce que tout simplement elle use de pratiques mystiques et souvent ce n’est pas le cas. Il y a des présidents de club qui réfutent cela. Par contre, il y a d’autres qui croient qu’elle peut faire gagner un match », regrette M. Diop.

Le journaliste Mbaye Jacques Diop ajoute que ce phénomène est loin d’être éradiqué, malgré son interdiction par la Ligue sénégalaise de football professionnel. « On reverra toujours ces pratiques parce qu’il y a des gens au sein de la Fédération sénégalaise de football qui y croient. Et quand il y a un match, ils proposent leur marabout. Pourtant, leurs clubs n’ont jamais rien gagné. C’est ça mon problème, vous voulez faire gagner l’équipe nationale, gagnez d’abord au sein de votre club et nous saurons au moins est-ce que ces pratiques, mystiques là sont utiles au sport ».

Il faut noter que ces pratiques mystiques sont souvent à l’origine de violences et de dégâts dans les stades avec notamment des bagarres entre joueurs, staff ou supporters. C’est le cas de la demi-finale coupe du Sénégal qui opposait Guédiawaye FC au Jaraaf de Dakar au mois de juillet. Un match qui s’est terminé en queue de poisson à cause des incidents provoqués par l’usage des pratiques mystiques du côté des deux équipes, qui se verront infliger une amende de 3 millions de FCFA par la commission de discipline de la Ligue sénégalaise de football professionnel.

Comment éradiquer ce phénomène dans le football professionnel sénégalais ?

La pratique occulte n’a rien à voir avec l’esprit du sport et cause souvent des dommages au développement de celui-ci. Il faut donc la supprimer, afin de résoudre le problème social de notre environnement sportif.
«Je pense que ça doit faire l’objet d’une discussion au niveau des instances où les voies sont délibératives ou bien consultatives. À l’Etat de voir comment aujourd’hui mettre fin à ces dérives-là, car ce sont des choses qui gangrènent le sport sénégalais et ça entache l’image du Sénégal. Il revient au législateur de dire, on va voter pour sanctionner ces actes ».

« C’est comme des actes de dopage et de banditisme qu’il faut sanctionner. Et si on arrive par exemple à trouver un palliatif à ça, je pense que le football, le sport dans sa globalité aura une image positive parce que l’image du sport colle avec des vertus et non avec tout ce qui est négatif ».
« L’État doit mettre des garde-fous pour sanctionner. Et quand on sanctionne, les gens sauront que là ce sont de vraies sanctions. Il faudrait qu’on aille dans ce sens pour permettre à ces gens-là de comprendre que le sport et la performance vont de paire mais le sport et les pratiques occultes ne vont pas ensemble », propose Mbaye Jacques Diop.

Bien vrai qu’il revient aux dirigeants du football sénégalais de prendre des mesures, mais aussi le soutien des acteurs des médias serait nécessaire pour surmonter ce phénomène avec la sensibilisation et une bonne éducation sportive.

La Ligue Sénégalaise de Football Professionnel (LSFP) a annoncé qu’il prendra des mesures contre les pratiques occultes sur les terrains. Une annonce faite lors du tirage au sort du calendrier de la Ligue 1 et de la Ligue 2 qui s’est tenu le 23 septembre dernier. Dans le cadre de la lutte contre la prolifération des pratiques mystiques, qui sont souvent la cause des violences dans les stades, l’instance sénégalaise de football a décidé de sévir à partir de cette saison 2023-2024. Contrairement aux sanctions financières symboliques antérieures qui varient de 50 000 FCFA à 500 000 FCFA, la Ligue envisage désormais des sanctions plus draconiennes, y compris des retraits de points au classement et des défaites sur tapis vert. Cette approche vise à dissuader les individus de recourir à la sorcellerie pour influencer les résultats des matchs.

Aïssatou DIENE